Xavier de Maistre interprète le Concerto pour harpe avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Gergely Madaras. Extrait du concert enregistré le 18 janvier 2024 à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique.
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Cette oeuvre (création mondiale) est une commande de Radio France - Rundfunkorchester und Chöre GmbH Berlin - Orchestre de la Suisse Romande - Musikverein de Vienne - Casa da Música de Porto - Orchestre Symphonique de la NHK de Tokyo, dédiée au harpiste Xavier de Maistre.
Seven, premier concerto pour violon, rendait hommage aux cosmonautes de la navette Columbia ; DoReMi, le deuxième, était un retour à l’enfance et aux premiers apprentissages musicaux ; Alhambra, le troisième, une promenade architecturale en compagnie de ses interprètes : chaque concerto de Peter Eötvös possède son monde propre. Certains titres annoncent une réinvention du dialogue entre le soliste et l’orchestre : Replica pour alto, le bartokien CAP-KO, acronyme de Concerto for Acoustic Piano, Keyboard and Orchestra, Focus pour saxophone suggérant l’usage d’une caméra sonore et une mise au point entre différents plans. De fait, le genre est approprié aux plus folles explorations dans le théâtre instrumental. C’est ainsi que la pièce de jeunesse Kosmos a 9 offert à un cymbalum très hongrois de jouer un nouveau rôle en compagnie de l’orchestre dans Psychokosmos. En 2023, le compositeur renoue avec l’essence même du genre en proposant à Xavier de Maistre un simple Concerto pour harpe.
En trois mouvements vif-lent-vif, ce concerto s’inscrirait dans le schéma le plus classique, si seulement la harpe bénéficiait d’un répertoire symphonique aussi riche que les autres instruments solistes. Si Haendel lui a offert quelques pages, Mozart a senti le besoin de lui adjoindre la flûte pour l’associer à l’orchestre. Et les efforts des Krumpholz, Boieldieu, Pierné et Glière n’y ont rien changé : les concertos pour harpe ont le privilège de la rareté. « Allegro e felice », indique Péter Eötvös en tête du premier mouvement. Seraitce là une joie inspirée par son interprète Xavier de Maistre ? « Xavier est sportif et sait danser, voilà un aspect du portrait que j’ai fait de lui », confie Péter Eötvös, avant de préciser : « Je trouve la plupart des concertos existants très bien écrits pour harpe, mais ils ne s’aventurent guère dans les modernités des dernières décennies. C’est pourquoi j’ai essayé de nourrir l’écriture de harpe d’éléments plus actuels, et de l’associer à un petit orchestre. » Sur plusieurs cordes, les glissandos de harpe influencent ainsi l’écriture orchestrale.
Jeu près de la table, frappe sur le bois, arrachés et harmoniques dressent un inventaire quasi illimité des possibilités techniques et timbres de l’instrument. De l’usage de la scordatura sur une partie du registre naissent des couleurs inédites : abaissées d’un quart de ton, certaines cordes produisent de délicieux frottements lorsqu’elles sonnent en mouvements parallèles avec les cordes à « hauteur normale ». Au centre de la pièce, un « hommage à Ravel » rappelle que le compositeur français a magnifié l’écriture de la harpe. Non seulement avec son Introduction et Allegro, qui a inspiré Péter Eötvös, mais aussi avec la féerie de Ma mère l’Oye ou encore le premier mouvement du Concerto en sol et son extraordinaire solo d’harmoniques et de glissandos. Peut-être Péter Eötvös, dans sa propre pensée concertante, se souvient-il aussi comment Ravel distribuait les soli au sein de son orchestre, capable d’offrir un magnifique contrepoint de bois à la partie du piano.
Au côté d’un instrument comme la harpe, l’orchestre doit se réinventer. Il n’en demeure pas moins que le soliste joue encore le premier rôle. Dès l’introduction, Péter Eötvös l’invite à se livrer au cours d’une grande cadence dont les courbes de plus en plus amples se transformeront dans l’Allegro en lignes tournoyantes. Il lui offrira une autre cadence à l’issue du troisième mouvement, requérant l’improvisation sans vraiment suivre les vieux préceptes du genre. En effet, l’interprète ne devra y recourir à aucune mélodie, aucun accord ni motif antérieur. Le va-et-vient plus ou moins vif et large des mains sur les cordes dessinera des formes fascinantes. Des mouvements browniens imprévisibles et pourtant mystérieusement ordonnés, comparables au ballet des oiseaux se resserrant et se dispersant dans les nuées d’étourneaux.
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